CE 3ème & 8ème chambres réunies, 13 mars 2019, n° 407795.

Un agent public a sollicité l'imputation au service d'un syndrome dépressif sévère, médicalement constaté et reconnu comme directement imputable au service par la commission de réforme. L’employeur a toutefois refusé de faire droit à la demande de l’agent.

Il convient de préciser que le syndrome dépressif sévère était apparu postérieurement à une sanction d’exclusion du service.
Si Tribunal administratif a accueilli la demande de l’agent, la Cour administrative d’appel a réformé cette décision et rejeté la demande.

Pour écarter l’imputabilité de la maladie au service, la Cour :
- Considéré que : « (…) l'avis médical rédigé en vue de la réunion de la commission de réforme n'était pas assorti des précisions permettant de tenir pour établi que l'état dépressif dont souffrait l'intéressée était directement lié à la dégradation de son contexte de travail ».
- Puis, analysant entre la maladie et les circonstances du travail de l’agent, elle a estimé : « (…) en s'engageant de longue date dans un processus d'opposition systématique à son employeur et en s'opposant à toute évolution du service, et en amplifiant cette attitude après la sanction du 3 juin 2013 au point de rendre impossible les relations de travail avec son employeur, Mme A...était à l'origine de l'épuisement professionnel et des conditions de travail dégradées dont elle se plaignait, et que si l'anxiété provoquée par les procédures disciplinaires dont elle avait fait l'objet avait un lien direct avec son activité professionnelle, elle ne pouvait être regardée comme une maladie professionnelle dès lors notamment que ces procédures ne révélaient pas de volonté délibérée de son employeur de porter atteinte à ses droits, à sa dignité ou d'altérer sa santé ».
Le Conseil d’État, statuant en chambres réunies a censuré cette analyse.
Il a estimé : « C'est sans erreur de droit que la cour s'est attachée à vérifier l'existence d'un lien direct de la maladie de Mme A ... avec l'exercice de ses fonctions et qu'elle a recherché ensuite si des circonstances particulières pouvaient conduire à regarder cette pathologie comme détachable du service. En revanche, en jugeant que l'absence de volonté délibérée de l'employeur de porter atteinte aux droits, à la dignité ou à la santé de Mme A... interdisait de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection en cause, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit, dès lors qu'il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée ».

Pour le Conseil d’État, la méthodologie devant être appliquée par les juges du fond, consiste à :
- Vérifier l'existence d'un lien direct entre la maladie dont l’agent public souffre et l'exercice de ses fonctions,
- Puis de vérifier si des circonstances particulières peuvent conduire à considérer cette pathologie comme détachable ou non du service.

En revanche, les juges du fond n’ont pas à se pencher sur la motivation qui anime l’employeur.

Ainsi, l’absence de volonté délibérée de l'employeur de porter atteinte aux droits, à la dignité ou à la santé de de l’agent est indifférente :
« Il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée ».
Ainsi, pour reconnaître l’imputabilité au service d’une maladie, le juge doit seulement apprécier d'un lien direct entre la maladie et les fonctions exercées, et rechercher si des circonstances particulières peuvent conduire à regarder cette pathologie comme détachable du service (antériorité de la maladie, circonstances personnelles .). ARRET DU CONSEIL D’ETAT DU 13 MARS 2019, N° 407795
Conseil d'État
N° 407795
ECLI:FR:CECHR:2019:407795.20190313
Publié au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Pauline Berne, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER ; SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
lecture du mercredi 13 mars 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral

Vu la procédure suivante :
Mme B...A...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 juillet 2014 par laquelle le président de la communauté d'agglomération du Choletais a refusé de reconnaître l'origine professionnelle de sa maladie.
Par un jugement n° 1408248 du 3 février 2016, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision.
Par un arrêt n° 16NT01106, 16NT01107 du 9 décembre 2016, sur appel de la communauté d'agglomération du Choletais, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et rejeté la demande de MmeA....
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 9 février, 10 mai et 6 juin 2017 et le 21 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la communauté d'agglomération du Choletais ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Choletais la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Berne, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B...A...et à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de l'agglomération du Choletais ;Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., attachée territoriale chargée depuis le 1er septembre 1988 de la direction de l'établissement d'hébergement de personnes âgées dépendantes de Trémentines, rattaché pour sa gestion à la communauté d'agglomération du Choletais depuis 2003, a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service d'un syndrome dépressif sévère médicalement constaté en juin 2013. Par décision du 31 juillet 2014, la communauté d'agglomération a refusé de faire droit à cette demande. Par un jugement du 3 février 2016, le tribunal a annulé cette décision et jugé la maladie de Mme A...imputable au service. Par un arrêt du 9 décembre 2016, sur appel de la communauté d'agglomération du Choletais, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et rejeté la demande de MmeA... qui se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable à la date de la décision en litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeA..., qui a fait l'objet de sanctions d'exclusion temporaire du service de trois jours le 30 juin 2011 et de six mois avec sursis partiel de trois mois le 3 juin 2013, a souffert d'un syndrome dépressif sévère, constaté le 15 juillet 2013 par un médecin du service des pathologies professionnelles du centre hospitalier universitaire d'Angers. Cette affection l'a empêchée de reprendre ses fonctions jusqu'au 13 mai 2014, date à laquelle elle s'est présentée à son poste. La commission de réforme, saisie de la demande de prise en charge au titre de la maladie professionnelle des arrêts de travail de MmeA..., a émis, après examen médical de l'intéressée le 7 avril 2014 par un médecin qui concluait que " la pathologie de Mme B...A...est essentiellement et directement causée par son travail habituel. Il existe donc une imputabilité certaine au service ", un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie en estimant que " la pathologie dépressive de l'intéressée était en lien direct avec son travail et qu'il n'existait pas d'état antérieur ou d'éléments de sa vie privée pouvant par ailleurs être à l'origine de cette affection ".
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, après avoir relevé ces éléments, en a déduit que la maladie de Mme A...ne pouvait être regardée comme résultant exclusivement de la sanction d'exclusion temporaire de service qui lui avait été infligée le 3 juin 2013. Elle a cependant écarté l'imputabilité au service de la maladie en jugeant, d'une part, que l'avis médical rédigé en vue de la réunion de la commission de réforme n'était pas assorti des précisions permettant de tenir pour établi que l'état dépressif dont souffrait l'intéressée était directement lié à la dégradation de son contexte de travail et, d'autre part, qu'en s'engageant de longue date dans un processus d'opposition systématique à son employeur et en s'opposant à toute évolution du service, et en amplifiant cette attitude après la sanction du 3 juin 2013 au point de rendre impossible les relations de travail avec son employeur, Mme A...était à l'origine de l'épuisement professionnel et des conditions de travail dégradées dont elle se plaignait, et que si l'anxiété provoquée par les procédures disciplinaires dont elle avait fait l'objet avait un lien direct avec son activité professionnelle, elle ne pouvait être regardée comme une maladie professionnelle dès lors notamment que ces procédures ne révélaient pas de volonté délibérée de son employeur de porter atteinte à ses droits, à sa dignité ou d'altérer sa santé.
6. C'est sans erreur de droit que la cour s'est attachée à vérifier l'existence d'un lien direct de la maladie de Mme A...avec l'exercice de ses fonctions et qu'elle a recherché ensuite si des circonstances particulières pouvaient conduire à regarder cette pathologie comme détachable du service. En revanche, en jugeant que l'absence de volonté délibérée de l'employeur de porter atteinte aux droits, à la dignité ou à la santé de Mme A... interdisait de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection en cause, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit, dès lors qu'il appartient au juge d'apprécier si les conditions de travail du fonctionnaire peuvent, même en l'absence de volonté délibérée de nuire à l'agent, être regardées comme étant directement à l'origine de la maladie dont la reconnaissance comme maladie professionnelle est demandée.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme A...est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Choletais la somme de 3 000 euros à verser à Mme A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt du 9 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes
Article 3 : La communauté d'agglomération du Choletais versera une somme de 3 000 euros à Mme A...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération du Choletais au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et à la communauté d'agglomération du Choletais