À mon sens, le conducteur d'opération et l'AMO sont un seul et même métier. L'assistant à la maîtrise d'ouvrage est un développement récent du conducteur d'opération.
I. Le conducteur d’opération
Le contrat de conduite d’opération est prévu et réglementé par la loi n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée (article 6).
Le conducteur d’opération est chargé d’une assistance générale à caractère administratif, financier et technique, sans représentation. Le contrat n’est donc pas un mandat (CAA Lyon 15 décembre 1994, Département des Bouches-du-Rhône, n° 93LY00394, RFDA 1995, p. 442).
Depuis l’ordonnance n°2004-566 du 17 juin 2004 modifiant la loi MOP, la conduite d'opération n'est plus une activité réservée aux personnes publiques et parapubliques. Elle peut être effectuée par des personnes privées.
- La responsabilité contractuelle du conducteur d’opération
Le contrat de conducteur d'opération est un contrat d’entreprise. La responsabilité de droit commun est applicable (CAA Bordeaux Plén., 27 février 1992, Commune de Tonneins et SARL Masini et Fils, n° BX01230 & 89BX01607, Lebon tables p. 1120 & 1157, AJDA 1993, p. 94 et 139, chr. J.-P. Jouguelet, J.-F. Gipoulon et P. Cadenat, RFDA 1993, p. 1135, conclusions Aymard de Malafosse - contra : TA Grenoble, 24 octobre 2003, syndicat mixte d’aménagement rural de la Drôme, n° 9503637, AJDA 2004 p. 445 note Mathieu Sauveplane).
Quelques exemples :
Le conducteur d’opération est responsable de la mauvaise préparation du DCE (CAA Versailles 16 décembre 2006, MM. Gouget, Banasevic et Villette / département du Val- d’Oise, n° 04VE02723, BJCP 51/2007 p. 157).
Il est responsable, conjointement avec le maître d'œuvre, lorsqu’il n’avertit pas le maître d'ouvrage de la présence d’amiante dans les locaux à rénover (CAA Bordeaux 17 décembre 2009, Rigothier, n° 07BX02505, Contrats et marchés publics 2010 chron. 5 Pascal Devillers).
Il est responsable de n’avoir pas attiré l’attention du maître de l’ouvrage sur un risque de dérapage des coûts dus à un choix du projet architectural, d’avoir refusé d’accorder des délais supplémentaires aux entreprises d’avoir accepté que le maître d'œuvre n’achève pas certaines missions (CAA Versailles 8 juin 2010, société les chantiers modernes, n° 07VE00126, Contrats et marchés publics 2010 n° 378 et 380 obs. F. Llorens, Contrats et marchés publics 2011, chron. Pascal Devillers).
Plus encore, il est responsable, au titre de manquements à son obligation de conseil, pour ne pas avoir incité le maître de l’ouvrage à refuser la levée des réserves alors que les désordres perduraient (CAA Nantes, 20 octobre 2017, n°16NT02276). Sa responsabilité contractuelle a été retenue, au même titre que celle des membres de l’équipe de maîtrise d’œuvre, pour le défaut d’assistance du maître de l’ouvrage lors des opérations de réception.
- La responsabilité décennale
Le principe est le suivant : conformément à l'article 1792-1 alinéa 1er du Code civil, sont débiteurs de la garantie décennale : « Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ».
Est réputé constructeur de l'ouvrage :
1° L’architecte, l’entrepreneur, le technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.
Le Conseil d'État a synthétisé l'état du droit, dans le considérant de principe suivant :
« En application des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-5 du Code civil, sont susceptibles de voir sa responsabilité engagée de plein droit, avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, à raison des dommages qui compromettent la solidité d'un ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, toute personne appelée à participer à la construction de l'ouvrage, liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage, ainsi que toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire » (CE, 21 février 2011, n° 330515, Sté Icade G3A et société services, conseil, expertises, territoires).
Le contrat de louage d'ouvrage, qui conditionne la qualité de constructeur, est défini comme une convention par laquelle son titulaire : « s'engage à faire quelque chose (pour le maître de l'ouvrage), moyennant un prix convenu entre les parties, sans subordonner l'une à l'autre » (CE, 21 février 2011, n° 330515, sté ICADE 3GA, JurisData n° 2011-002206, Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 109, note P. Devillers ; RDI 2011 p. 339, B. Delaunay).
Il est, par ailleurs, nécessaire que le contrat de louage d'ouvrage ait conduit le locateur d'ouvrage à participer à la conception ou la réalisation de l'ouvrage concerné par les désordres
(CAA Lyon, 7 octobre 2010, n° 07LY01210, sté Fondasol, Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 409, note P. Devillers).
Tel n'est pas le cas de l'entrepreneur uniquement chargé du nettoyage de la façade d'un ouvrage (CAA Paris, 6 juillet 1995, n° 94PA01317, SARL Onyx Entreprise, AJDA 1996, p. 241) ou de celui qui s'est vu confier les travaux de peinture (pour la peinture des boiseries d'un bâtiment, (CE, 18 juin 1997, n° 126612, OPHLM Ville du Havre, RDI 1998, p. 89, F. Llorens et P. Terneyre) sauf s'ils ont pour objet d'assurer la pérennité de l'ouvrage dans le temps (pour une peinture anti corrosion, : CAA Versailles, 12 septembre 2006, n° 03VE03721, Ét. publ. d'amén. de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, JurisData n° 2006-324566, Contrats-Marchés publ. 2007, comm. 50, note F. Llorens et P. Soler-Couteau).
En revanche, peu importe que les travaux portent sur un ouvrage de bâtiment ou sur un ouvrage de génie civil (CAA Paris, 21 novembre 2006, n° 03PA01202, sté Bureau Véritas, JurisData n° 2006-322268).
Le juge administratif doit rechercher d'office si l'intervenant possède la qualité de constructeur et déterminer si sa responsabilité décennale est engagée (CE, 13 novembre 1987, n° 55445, Synd. intercnal pour la création et le fonctionnement de l'école des clos Ferolles Seine-et-Marne).
Le Conseil d'État a reconnu que même si le contrat exclut la qualification de louage d’ouvrage, s’il a cet objet, il entraîne l’application de la garantie décennale (CE 21 février 2011, société ICADE G3A, n° 330515, précité).
- Le cas du conducteur d'opération
Depuis 2011, le Conseil d'État considère qu'en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-5 du Code civil, un conducteur d'opération, au sens de l'article 6 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique, concluant avec un maître d'ouvrage un contrat de louage d'ouvrage, doit être regardé, pour la mise en œuvre du dispositif de garantie décennale, comme un constructeur, et ce, alors même que la convention stipule qu'elle n'est pas un contrat de louage d'ouvrage (CE, 21 février 2011, n° 330515, Sté Icade G3A et société services, conseil, expertises, territoires, JurisData n° 2011-002206 ; également : CAA Nancy, 22 mars 2007, n° 05NC00234, min. Équip., JurisData n° 2007- 329818).
II. L’assistant à la maîtrise d’ouvrage
- Définition
L'AMO trouve son origine dans trois sources : l'éclatement des fonctions traditionnelles de la conduite d'opération (technique, administratif et financier), le démembrement de la maîtrise d'œuvre (pour les assistances techniques ou économiques) et le prolongement des missions d'ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC). L'AMO de type management de projet travaille à partir des méthodes de planification des OPC de chantier et élargit ainsi son rôle au pilotage global de l'opération.
L'AMO n'est défini par aucun texte officiel. Cette fonction a, pour la première fois été citée par les pouvoirs publics dans la circulaire n° 2001-65 du 18 septembre 2001 relative à l'organisation de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre pour l'aménagement du réseau routier national : « La loi ne s'oppose pas à ce que le maître d'ouvrage fasse appel à une assistance extérieure pour l'aider à préparer ses décisions ».
La circulaire n°2001-65 précitée énonce : « L'exercice de la responsabilité de maîtrise d'ouvrage pourra conduire à envisager d'avoir recours à des prestations externes multiples et diverses ».
Depuis, il est admis que le contenu des missions d'assistance peut être plus ou moins étendu : l'organisation de l'opération, la détermination du processus de réalisation, la désignation des prestataires intellectuels, le montage financier, administratif et juridique, etc.
L'AMO est aussi susceptible d'intervenir ponctuellement sur des questions précises (AMO Technique, AMO Administratif). Le cas échéant, il accompagne le maître d'ouvrage tout au long de l'opération (AMO Management de projet).
L’ AMO Technique (AMO.T) :
L'AMO.T intervient dès les études de faisabilité. Selon son domaine d'intervention, il participe non seulement aux études géotechniques ou acoustiques, mais aussi dans les domaines de l'environnement, du développement durable, de l'accessibilité, etc. Il conforte le maître d'ouvrage dans la connaissance technique de ses dossiers en lui permettant d'avoir un second regard sur la prestation du maître d'œuvre, dont il est souvent issu. Alors même que l'AMO.T intervient principalement aux phases amont d'un projet (faisabilité et programmation des ouvrages), il a également vocation à développer ses interventions dans le domaine de l'exploitation-maintenance de l'ouvrage.
L’ AMO Financier :
Issu de l'économie de la construction, l'AMO Financier participe à la mise en place des paramètres financiers de l'opération (plan de financement, budget prévisionnel, évaluation des coûts du programme de construction, etc.).
Les maîtres d'ouvrage ont de plus en plus souvent recours à un AMO Financier pour la vérification de la fiabilité des enveloppes financières prévisionnelles fixées lors du programme et des estimations prévisionnelles proposées par les maîtres d'œuvre.
L’ AMO Administratif :
La complexité du volet administratif amène le maître de l'ouvrage à se faire entourer par un AMO qui a la capacité à intervenir lors du montage de l'opération pour la déterminer le processus de réalisation de l'ouvrage ou encore la définition du cahier des charges techniques des prestataires intellectuels. Ce rôle a été légitimé par des arrêtés d'application de l'article 54-I de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée.
Comment distinguer l'AMO du conducteur d'opération ?
Le conducteur d'opération a une mission définie par les textes. Il doit, selon l'article 6 de la loi MOP : « une assistance générale à caractère administratif, financier et technique ». À la lettre, le conducteur d'opération est donc un conseiller généraliste, offrant une assistance élargie tout au long de l'opération.
Certains auteurs estiment qu'à contrario, les missions d'assistance à caractère spécialisé ou ponctuel dans les domaines administratif, financier et technique sont réservées à l'AMO.
- Quelle est la nature et l'étendue des responsabilités d'un AMO ?
Sauf cas particulier, l'AMO n'est pas mandataire du maître d'ouvrage et n'a donc pas qualité pour le représenter. L'AMO doit se borner à donner des conseils au maître d'ouvrage. Précisément, il doit préparer la prise de décision du maître de l'ouvrage et l'éclairer sur l'ensemble de la problématique.
La responsabilité de l'AMO est appréciée au regard des missions qui lui sont confiées et relève le plus souvent de l'obligation de moyens et non de résultat.
Autrement dit, il ne doit répondre que de ses propres fautes, à charge pour celui qui le met en cause de démontrer l'existence des ces fautes. Tenu par cette obligation de moyens, l'AMO doit être en mesure de justifier la pertinence des moyens mis en œuvre pour l'exécution de sa mission.
Ainsi, les AMO.T, qui donnent des avis et conseils sur des choix techniques et interviennent dans les problématiques « techniques » ont un rôle identique à celui d’un conducteur d'opération. Le Conseil d'État a qualifié un tel contrat de : « louage d'ouvrage », impliquant que sa responsabilité décennale puisse être recherchée (CE 14 mars 1997, Hôpital des Petits-Près, n°132560-132960, CE 9 mars 2018 précité).
En revanche, les interventions « hors technique » (aspects financiers et administratifs) ne concernent pas directement la réalisation de l'ouvrage. Les AMO ne doivent justifier que d'une RCP (responsabilité civile professionnelle).
Par un arrêt rendu le 9 mars 2018, le Conseil d’État a confirmé cette approche. Il a estimé que l'AMO peut être considéré comme un constructeur au titre de l'article 1792-1 du Code civil. Dans ce cas précis, le contrat désignait l’assistant à maîtrise d’ouvrage comme l’ : « interlocuteur direct des différents participants » en charge du respect des délais et de l’enveloppe financière et de la conformité des travaux. Une mission de direction de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception lui avait également été confiée. Pour le Conseil d’Etat, il était évident que ce contrat avait pour objet un louage d'ouvrage (n°406205).
Toutefois, qu'il s'agisse d'un conducteur de travaux ou d'un assistant à la maîtrise d'ouvrage, sa responsabilité décennale ne pourra être retenue que pour des désordres en lien avec sa participation effective aux travaux affectés de désordres.
L'AMO est-il soumis à l'assurance de responsabilité décennale ?
Ce point est délicat. Si l'AMO se voit confier une mission de type « maîtrise d'œuvre » ou « contrôle extérieur des dispositions techniques », il sera débiteur de la garantie décennale et pourra être assujetti à une responsabilité de constructeur.
Hormis les cas d'exemption visés à l'article L243-1-1 du Code des assurances, il devra alors souscrire une assurance de responsabilité décennale (police CNR : constructeur non réalisateur).
Pour ma part, l'AMO est une version plus "sophistiquée" du conducteur d'opération. Les responsabilités encourues (contractuelle et décennale) sont identiques.